Robert Badinter était l’invité de Nicolas Poincaré sur France Info le jeudi 14 octobre 2010, à l’occasion des 13e Rendez-vous de l’histoire à Blois ce dimanche, manifestation présidée par l’ancien ministre de la Justice.
Interrogé par Nicolas Poincaré qui s’affirme « s’intéresser beaucoup » à la question de la loi Gayssot, Robert Badinter se prononce contre les « lois compassionnelles » et affirme que ces lois sont anticonstitutionnelles.
N. Poincaré :
Juste un mot sur une question qui m’intéresse moi, et dont vous ne parlerez peut-être pas dimanche à Blois mais qui m’intéresse beaucoup, c’est lorsque la loi essaye de faire l’histoire je pense aux lois mémorielles ou à la loi Gayssot qui punit le révisionnisme ?
R. Badinter :
C’est un aspect très intéressant de l’époque récente. Ma position est très claire, très claire : le Parlement n’a pas à dire l’histoire. Le parlement fait l’histoire, il n’a pas à la dire, ni à la fixer. Les lois mémorielles, que j’appelle des lois compassionnelles, qui sont faites pour panser des blessures, apaiser des douleurs - et je comprends ça parfaitement - mais elles n’ont pas leur place dans l’arsenal législatif. La loi est une norme. La loi a pour fonction de règlementer une société de prévoir son avenir. Elle n’a pas à prendre parti dans une querelle historique ou tout simplement à affirmer un fait historique même indiscutable. J’ajoute, il faut bien le prendre en compte : la Constitution ne le permet pas. Je le dis clairement, elle ne le permet pas.
La loi en France n'est pas comme en Angleterre, le Parlement ne peut pas tout dire. Le Parlement a une compétence d’attribution, et rien ne permet au regard de la constitution au législateur de s’ériger en tribunal de l’histoire. Rien.
Par conséquent je comprends très bien les passions et le désir des élus de panser les blessures et de faire des lois compassionnelles : ça n’est pas la finalité du Parlement et constitutionnellement c’est hors de la compétence du Parlement.
[lien vidéo si celle-ci n'apparaît pas]
Vincent Reynouard est actuellement incarcéré pour un an de prison à cause d'une loi qui anticonstitutionnelle. L'ingénieur chimiste est donc détenu illégalement, depuis 100 jours aujourd'hui, dans les prisons de la République.
Cette position n'est certes pas celle de tous les hommes de droit. Certains jusqu'au-boutistes exterminationnistes ou partisan de la censure prétendent en effet que la Loi Fabius-Gayssot est constitutionnelle (1). Mais avec l'appui de Robert Badinter, plus personne ne devrait pouvoir être condamné en vertu de la loi Gayssot : le prochain justiciable pourra porter une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel - si jamais la juridiction concernée fais preuve de courage et d'honnêteté. (2) Ce dernier ne pourra que dénoncer cette loi anticonstitutionnelle qui viole clairement les droits et libertés que la Constitution garantit avec l'appui des déclarations sans ambiguïtés de Robert Badinter, docteur en droit et ancien président du Conseil constitutionnel.
(1) C'est le cas du objectif site PHDN (Pratique de l'Histoire et dévoilements négationnistes [sic]) qui présente deux textes sur la question. L'objectivité de ce site ne pouvant être mise en cause, ils devraient très prochainement les retirer où les nuancer par les propos de l'ancien président du Conseil constitutionnel d'une portée autrement importante.
(2) Au début de l’année, une cour de cassation a refusé de transmettre une question de constitutionnalité au Conseil constitutionnel dans un arrêt aberrant, la cour, présidée par M. Lamanda, estimant que « la question posée ne présente pas un caractère sérieux dans la mesure où l'incrimination critiquée se réfère à des textes régulièrement introduits en droit interne, définissant de façon claire et précise l'infraction de contestation de l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité [...] infraction dont la répression, dès lors, ne porte pas atteinte aux principes constitutionnels de liberté d'expression et d'opinion ».