Y eut-il, entre 1919 et 1939, un fascisme proprement français ? Oui, contrairement à ce qu'affirme depuis longtemps l'historiographie française. La base de ce fascisme était-elle idéologique ? Non, affirme Michel Lacroix : elle était d'abord esthétique.
Son ouvrage vise à montrer que tout du fascisme naît de l'esthétique ou y aboutit. Les discours,les pratiques symboliques, et les textes littéraires ne cessent de le répéter : « Qui dit fascisme dit avant tout beauté » (Bénito Mussolini).
Qu'est-ce qu'un chef ou un héros pour les artistes fascistes ? Quelles valeurs cherchent-ils à promouvoir chez les jeunes, en Allemagne, en Italie et en France? A quel spectacle politique consacrent-ils leurs efforts ? Voilà les trois principales questions auxquelles répond Michel Lacroix. Pour y arriver, il est allé relire Drieu La Rochelle, Céline ou Brasillach, mais il s'est aussi intéressé au scoutisme et à l'olympisme, à la sculpture comme au cinéma. C'est ce qui lui a permis de comprendre les rapports du pathos, de l'exhibition, du sublime, de la violence et de la mort dans le fascisme français de l'entre-deux-guerres.
Le fascisme, il y a bien longtemps que nous avons pensé que c'était une poésie, et la poésie même du XXème siècle (avec le communisme sans doute). Les petits enfants qui seront des garçons de vingt ans, plus tard, apprendront avec un sombre émerveillement l'existence de cette exaltation de millions d'hommes, les camps de jeunesse, les gloires du passé, les défilés, les cathédrales de lumière, les héros frappés au combat, l'amitié entre les jeunesses de toutes les nations réconciliées, José-Antonio, le fascisme immense et rouge. Je ne pourrai jamais oublier le rayonnement merveilleux du fascisme universel de ma jeunesse.
Comment a-t-on pu librement choisir, préférer, voire désirer le fascisme ? Comment le fascisme a-t-il pu apparaître comme projet politique louable, nécessaire, sinon idéal pour des millions d'Européens de l'entre-deux-guerres ? Comment, en un mot, a t-on pu être fasciste ? Maintes hypothèses ont été formulées pour tenter d'expliquer cela, qui apparut et apparaît encore pour beaucoup inexplicable. A la suite, entre autres, de Walter Benjamin, nous postulons que l'attrait du fascisme a résidé dans son projet esthétique, dans sa promesse d'une nation superbement belle, d'une vie héroïque, d'un spectacle politique ravissant qui éblouit. Pareille thèse ne saurait être exclusive, dans la mesure où un phénomène historique aussi complexe ne peut se réduire à une explication unique. Le rapport à la modernisation politique et économique, les cycles économiques, les conflits entre "identités" nationales et sociales, la dynamique des idéologies, l'expérience de la Première Guerre mondiale, les contextes historiques nationaux,etc...tous ces éléments, et bien d'autres encore ont compté. Sans nous inscrire en faux contre les perspectives qui soulignent l'importance prise par ces derniers dans l'avènement du fascisme, nous avons choisi de montrer que le rôle joué par l'esthétique devrait être promu parmi les plus importants facteurs explicatifs.
Mausolée où repose le corps du poète d'Annunzio et ses camarades de combat
près du Lac de Garde.
Palais de l'INPS (Institut national de la sécurité sociale) sur la Piazza Missori à Milan
réalisé par Marcello Piacentini (1929/1930).
(Fahnenträger - Josef Thorak - 1937)
(Michel Lacroix, auteur du livre De la beauté comme violence (l'esthétique du fascisme français, 1919-1939), Presses de l'Université de Montréal, 2004 - Merci à B.).