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26 février 2009 4 26 /02 /février /2009 15:05
[Une thèse originale et pertinente de Michel Lacroix sur l'existence d'un fascisme français,  fondé comme expérience esthétique - merci à B. pour le texte]



    Y eut-il, entre 1919 et 1939, un fascisme proprement français ? Oui, contrairement à ce qu'affirme depuis longtemps l'historiographie française. La base de ce fascisme était-elle idéologique ? Non, affirme Michel Lacroix : elle était d'abord esthétique.
    Son ouvrage vise à montrer que tout du fascisme naît de l'esthétique ou y aboutit. Les discours,les pratiques symboliques, et les textes littéraires ne cessent de le répéter : « Qui dit fascisme dit avant tout beauté » (Bénito Mussolini).



(Leibende - Anton Grauel - 1940)

    Qu'est-ce qu'un chef ou un héros pour les artistes fascistes ? Quelles valeurs cherchent-ils à promouvoir chez les jeunes, en Allemagne, en Italie et en France? A quel spectacle politique consacrent-ils leurs efforts ? Voilà les trois principales questions auxquelles répond Michel Lacroix. Pour y arriver, il est allé relire Drieu La Rochelle, Céline ou Brasillach, mais il s'est aussi intéressé au scoutisme et à l'olympisme, à la sculpture comme au cinéma. C'est ce qui lui a permis de comprendre les rapports du pathos, de l'exhibition, du sublime, de la violence et de la mort dans le fascisme français de l'entre-deux-guerres.



 

Le fascisme, il y a bien longtemps que nous avons pensé que c'était une poésie, et la poésie même du XXème siècle (avec le communisme sans doute). Les petits enfants qui seront des garçons de vingt ans, plus tard, apprendront avec un sombre émerveillement l'existence de cette exaltation de millions d'hommes, les camps de jeunesse, les gloires du passé, les défilés, les cathédrales de lumière, les héros frappés au combat, l'amitié entre les jeunesses de toutes les nations réconciliées, José-Antonio, le fascisme immense et rouge. Je ne pourrai jamais oublier le rayonnement merveilleux du fascisme universel de ma jeunesse.


Robert Brasillach.

 



    Comment a-t-on pu librement choisir, préférer, voire désirer le fascisme ? Comment le fascisme a-t-il pu apparaître comme projet politique louable, nécessaire, sinon idéal pour des millions d'Européens de l'entre-deux-guerres ? Comment, en un mot, a t-on pu être fasciste ? Maintes hypothèses ont été formulées pour tenter d'expliquer cela, qui apparut et apparaît encore pour beaucoup inexplicable. A la suite, entre autres, de Walter Benjamin, nous postulons que l'attrait du fascisme a résidé dans son projet esthétique, dans sa promesse d'une nation superbement belle, d'une vie héroïque, d'un spectacle politique ravissant qui éblouit. Pareille thèse ne saurait être exclusive, dans la mesure où un phénomène historique aussi complexe ne peut se réduire à une explication unique. Le rapport à la modernisation politique et économique, les cycles économiques, les conflits entre "identités" nationales et sociales, la dynamique des idéologies, l'expérience de la Première Guerre mondiale, les contextes historiques nationaux,etc...tous ces éléments, et bien d'autres encore ont compté. Sans nous inscrire en faux contre les perspectives qui soulignent l'importance prise par ces derniers dans l'avènement du fascisme, nous avons choisi de montrer que le rôle joué par l'esthétique devrait être promu parmi les plus importants facteurs explicatifs.



Mausolée où repose le corps du poète d'Annunzio et ses camarades de combat
près du Lac de Garde.




Palais de l'INPS (Institut national de la sécurité sociale) sur la Piazza Missori à Milan
réalisé par Marcello Piacentini (1929/1930).



    Le fascisme s'est voulu incarnation de la beauté. L'un de ses traits marquants, qui le distingue d'ailleurs des mouvements politiques contemporains, est la place primordiale prise par l'esthétique dans son idéologie. Le jugement porté sur la Cité, sur ce qu'elle a été, est ou devrait être, est conditionné chez lui par les critères du beau et du laid. La société qu'il veut faire advenir repose moins sur la justice, la moralité ou la richesse ; il ne promet ni droits ni bonheur, ne rétablit pas plus la tradition qu'il n'incarne vraiment la modernité; sa caractéristique majeure doit être la beauté et toutes ses qualités afférentes : force, unité, émotion, dynamisme, etc... Deux hypothèses majeures sous-tendent l'ensemble de notre travail. Nous posons en premier lieu que l'esthétique, dans le fascisme, est une dimension première et essentielle. Elle en est une dimension parmi d'autres en un sens que d'autres veines discursives composent le discours fasciste dans son ensemble, celles issues de la religion ou de l'économie, par exemple. Elle en est malgré tout une dimension fondatrice et incontournable. D'une part la sensibilité esthétique est à la base du fascisme, elle le précède et y conduit. D'autre part, la justification esthétique légitime l'ensemble du projet fasciste. Le pouvoir absolu du chef, les incessantes demandes de sacrifice et d'héroïsme, le mépris à l'égard des bourgeois, l'exigence d'uniformité parfaite, le militarisme omniprésent, la nécessité d'une violence purificatrice : chacun de ces aspects du fascisme possède des assises esthétiques. Nous posons comme seconde hypothèse que le fascisme représente la radicalisation d'un vaste pan de la culture européenne du début du XXème siècle : radicalisation de l'autoritarisme et du phallocentrisme, d'abord. Radicalisation ensuite de la nouvelle culture émergente du corps, du muscle et de la jeunesse. Radicalisation aussi de la tradition du spectacle politique nationaliste...."




(Fahnenträger - Josef Thorak - 1937)




(Michel Lacroix, auteur du livre De la beauté comme violence (l'esthétique du fascisme français, 1919-1939), Presses de l'Université de Montréal, 2004 - Merci à B.).
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