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25 décembre 2010 6 25 /12 /décembre /2010 18:18

      Bien que, le long du chemin, il ramassât une bûchette pour l’apporter au foyer ; bien qu’il se contentât, pour son humble ordinaire, de légumes et de pain bis ; bien que, dans l’abondance, il fût sobre toujours et mît de l’eau dans son vin, toujours sa table était ouverte, et sa main et sa bourse, pour tout pauvre venant. Puis, si l’on parlait de quelqu’un, il demandait, d’abord, s’il était bon travailleur ; et, si l’on répondait oui :


      –Alors, c’est un brave homme, disait-il, je suis son ami.


      Fidèle aux anciens usages, pour mon père, la grande fête, c’était la veillée de Noël. Ce jour-là, les laboureurs dételaient de bonne heure ; ma mère leur donnait à chacun, dans une serviette, une belle galette à l’huile, une rouelle de nougat, une jointée de figues sèches, un fromage du troupeau, une salade de céleri et une bouteille de vin cuit. Et qui de-ci, et qui de-là, les serviteurs s’en allaient, pour pausa cacha-fiò (1), dans leur pays et dans leur maison. Au Mas ne demeuraient que les quelques pauvres hères qui n’avaient pas de famille ; et, parfois des parents, quelque vieux garçon, par exemple, arrivaient à la nuit, en disant :


      –Bonnes fêtes ! Nous venons poser, cousins, la bûche au feu, avec vous autres.

 

      Tous ensemble, nous allions joyeusement chercher la bûche de Noël, qui – c’était de tradition –devait être un arbre fruitier. Nous l’apportions dans le Mas, tous à la file, le plus âgé la tenant d’un bout, moi, le dernier-né, de l’autre ; trois fois, nous lui faisions faire le tour de la cuisine ; puis, arrivés devant la dalle du foyer, mon père, solennellement, répandait sur la bûche un verre de vin cuit, en disant :

Allégresse ! Allégresse, Mes beaux enfants, que Dieu nous comble d’allégresse !
Avec Noël, tout bien vient :
Dieu nous fasse la grâce de voir l’année prochaine.
Et, sinon plus nombreux, puissions-nous n’y pas être moins.


      Et, nous écriant tous : « Allégresse, allégresse, allégresse ! », on posait l’arbre sur les landiers et, dès que s’élançait le premier jet de flamme :

A la bûche
Boute feu !

disait mon père en se signant. Et, tous, nous nous mettions à table.



      Oh ! la sainte tablée, sainte réellement, avec, tout à l’entour, la famille complète, pacifique et heureuse. A la place du caleu (2), suspendu à un roseau, qui, dans le courant de l’année, nous éclairait de son lumignon, ce jour-là, sur la table, trois chandelles brillaient; et si, parfois, la mèche tournait devers quelqu’un, c’était de mauvais augure. A chaque bout, dans une assiette, verdoyait du blé en herbe, qu’on avait mis germer dans l’eau le jour de la Sainte-Barbe. Sur la triple nappe blanche, tour à tour apparaissaient les plats sacramentels: les escargots, qu’avec un long clou chacun tirait de la coquille; la morue frite et le muge (3) aux olives, le cardon, le scolyme (4), le céleri à la poivrade, suivis d’un tas de friandises réservées pour ce jour-là, comme : fouaces à l’huile, raisins secs, nougat d’amandes, pommes de paradis ; puis, au-dessus de tout, le grand pain calendal, que l’on n’’entamait jamais qu’après en avoir donné, religieusement, un quart au premier pauvre qui passait.


      La veillée, en attendant la messe de minuit, était longue ce jour-là; et longuement, autour du feu, on y parlait des ancêtres et on louait leurs actions. Mais, peu à peu et volontiers, mon brave homme de père revenait à l’Espagne et à ses souvenirs du siège de Figuières.


      Si je vous disais, commençait-il, qu’étant là-bas en Catalogne, et faisant partie de l’armée, je trouvai le moyen, au fort de la Révolution, de venir de l’Espagne, malgré la guerre et malgré tout, passer avec les miens les fêtes de Noël ! Voici, ma foi de Dieu, comment s’arrangea la chose :


Au pied du Canigou, qui est une grande montagne entre Perpignan et Figuières, nous tournions, retournions depuis passablement de temps, en bataillant, à toi, à moi, contre les troupes espagnoles. Aïe ! que de morts, que de blessés et de souffrances et de misères ! Il faut l’avoir vu, pour savoir cela. De plus, au camp, – c’était en décembre, – il y avait manque de tout ; et les mulets et les chevaux, à défaut de pâture, rongeaient, hélas ! les roues des fourgons et des affût.

"Or, ne voilà-t-il pas qu’en rôdant, moi, au fond d’une gorge, du côté de la mer, je vais découvrir un arbre d’oranges, qui étaient rousses comme l’or !

"–Ha ! dis-je au propriétaire, à n’importe quel prix, vous allez me les vendre.

"Et, les ayant achetées, je m’en reviens de suite au camp et, tout droit à la tente du capitaine Perrin (qui était de Cabanes), je vais avec mon panier et je lui dis :

"–Capitaine, je vous apporte quelques oranges...

"–Mais où as-tu pris «!ça ?

"–Où j’ai pu, capitaine.

"–Oh ! luron, tu ne saurais me faire plus de plaisir... Aussi, demande-moi, vois-tu, ce que tu voudras, et tu l’obtiendras ou je ne pourrai.

"–Je voudrais bien, lui fis-je alors, avant qu’un boulet de canon me coupe en deux, comme tant d’autres, aller, encore une fois, "poser le bûche de Noël" en Provence, dans ma famille.

"–Rien de plus simple, me fit-il ; tiens, passe l’écritoire.

Et mon capitaine Perrin (que Dieu, en paradis, l’ait renfermé, cher homme) sur un papier, que j’ai encore, me griffonna ce que je vais dire:

"Armée des Pyrenées-Orientales.

"Nous Perrin, capitaine aux transports militaires, donnons congé au citoyen François Mistral, brave soldat républicain, âgé de vingt-deux ans, taille de cinq pieds six pouces, nez ordinaire, bouche idem, menton rond, front moyen, visage ovale, de s’en aller dans son pays, par toute la République, et au diable, si bon lui semble.

"Et voilà, mes amis, que j’arrive à Maillane, la belle veille de Noël, et vous pouvez penser l’ahurissement de tous, les embrassades et les fêtes. Mais, le lendemain, le maire (je vous tairai le nom de ce fanfaron braillard, car ses enfants sont encore vivants) me fait venir à la commune et m’interpelle comme ceci :

"–Au nom de la loi, citoyen, comment va que tu as quitté l’armée?

"–Cela va, répondis-je, qu’il ma pris fantaisie de venir, cette année, "poser la bûche" à Maillane.

"–Ah oui ? En ce cas-là, tu iras, citoyen, t’expliquer au tribunal du district, à Tarascon.

"–Et, tel que je vous le dis, je me laissai conduire par deux gardes nationaux, devant les juges du district. Ceux-ci, trois faces rogues, avec le bonnet rouge et des barbes jusque-là:

"–Citoyen, me firent-ils en roulant de gros yeux, comment ça se fait-il que tu aies déserté ?

"Aussitôt, de ma poche ayant tiré mon passeport :

"–Tenez, lisez, leur dis-je.

"Ah ! mes amis de Dieu, dès avoir lu, ils se dressent en me secouant la main :

"–Bon citoyen, bon citoyen ! me crièrent-ils. Va, va, avec des papiers pareils, tu peux l’envoyer coucher, le maire de Maillane.

"Et après le Jour de l’An, j’aurais pu rester, n’est-ce pas ? Mais il y avait le devoir et je m’en retournai rejoindre."

 

 

      Voilà, lecteur, au naturel, la portraiture de famille, d’intérieur patriarcal et de noblesse et de simplicité, que je tenais à te montrer.

      Au Jour de l’An, – nous clôturerons par cet autre souvenir, – une foule d’enfants, de vieillards, de femmes, de filles, venaient, de grand matin, nous saluer comme ceci :

      –Bonjour, nous vous souhaitons à tous la bonne année, Maîtresse, maître, accompagnée D’autant que le bon Dieu voudra.

      –Allons, nous vous la souhaitons bonne, répondaient mon père et ma mère en donnant à chacun, bonnement, sous forme d’étrennes, une couple de pains longs et de miches rebondies.



      Par tradition, dans notre maison, comme dans plusieurs autres, on distribuait ainsi, au nouvel an, deux fournées de pain aux pauvres gens du village.

Vivrais-je cent ans,
Cent ans, je cuirai,
Cent ans, je donnerai aux pauvres.


      Cette formule, tous les soirs revenait dans la prière que mon père faisait avant d’aller au lit. Et aussi, à ses obsèques, les pauvres gens, avec raison, purent dire, en le plaignant :


      –Autant de pains il nous donna, autant d’anges dans le ciel l’accompagnaient. Amen!

 

 

Frédéric Mistral, Mes Origines (mémoires et récits).

 

 


(1) Poser la bûche au feu.

(2) Chaleil ou caleil : mot d’ancien français désignant une lampe huile rudimentaire.

(3) Nom donné en Provence au poisson dénommé autrement mulet.

(4) Plante s’apparentant au chardon.

 

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21 décembre 2010 2 21 /12 /décembre /2010 15:15

Texte écrit par Pierre Vial, extrait des Solstices, histoire et actualité de Jean Mabire et Pierre Vial aux Editions de la Forêt.



 

      Partis d’Europe du nord, les peuples indo-européens qui sont à l’origine de notre civilisation portaient en eux une conception du monde spécifique qui se retrouve dans chacune des composantes de la civilisation européenne antique : de l’Empire celte à la Grèce, du Latium à la Perse, de la Germanie à la terre des Aryens. Cette conception du monde s’exprime à travers des symboles. Beaucoup ont une signification solaire.

      Pour les Indo-Européens, le soleil est la source de la lumière, de la chaleur et de la vie. Les textes aryens font du soleil l’origine de tout ce qui existe, le principe et la fin de toute manifestation : il est appelé « le nourrisseur » (Savitri). L’alternance vie-mort-renaissance est symbolisée par le cycle solaire : journalier (très fréquemment évoqué dans les textes védiques) et annuel. Le soleil est un aspect de l’Arbre du monde – de l’Arbre de vie ­qui s’identifie lui-même au rayon solaire (les rayons solaires faisant la liaison entre ces deux aspects d’une même réalité que sont la terre et le ciel).

      Le soleil est lumière de connaissance et foyer d’énergie. Le nom d’Héliopolis (ou cité du soleil) est donné, dans les récits mythiques, aux centres de tradition spirituelle. C’est le siège du législateur des Aryens, Manu.

 

http://img29.imageshack.us/img29/2065/apollonsursoncharbisong.jpg

Apollon sur son char par Giuseppe Bernardino Bison

      Issu du monde hyperboréen, Apollon est pour les Grecs le dieu solaire par excellence, le dieu initiateur dont la flèche ressemble un rayon de soleil, en harmonie avec la blondeur de sa chevelure, la lyre dorée au son de laquelle il charme l’Olympe et l’or de son char qui parcourt le ciel tiré par trois chevaux blancs.

      Principe actif, alors que la lune, qui reflète sa lumière, est principe passif, le soleil devient chez les Celtes le dieu Lug (le lumineux). Il faut d’ailleurs remarquer que la racine désignant le mot « dieu » est pratiquement la même chez tous les Indo­-Européens : les Italo-Celtiques (deus), les Hellènes (théos), les Aryens (deiwos), le terme ayant toujours un double sens ; originel d’être solaire et lumineux. La même racine se retrouve particulièrement dans les noms de dieux personnifiant le ciel-p­ère : latin Jupiter (dius-pater), grec Zeus-pater, védique dyauh-Pitâ.

     Dans les textes irlandais et gallois, où il est utilisé pour des comparaisons ou des métaphores, le soleil sert à caractériser, non seulement le brillant ou le lumineux, mais tout ce qui est beau, aimable, splendide.

 

      Les textes gallois désignent souvent le soleil par la métaphore « œil du jour » et le nom de l’œil en irlandais (sul) qui est l’équivalent du nom brittonique du soleil, souligne le symbolisme solaire de l’œil. Les Védas parlent aussi du soleil : comme « l’œil du monde» ou « le cœur du monde ». Comme tel, il est parfois figuré au centre de la roue du Zodiaque.

 

      La roue est symbole du soleil rayonnant. Se rapportant au monde du devenir, de la création continue, elle symbolise les cycles, les recommencements, les renouvellements. Dans les traditions européennes, la roue est fréquemment utilisée pour célébrer les grandes fêtes solaires : roues embrasées dévalant des hauteurs au solstice d’été, processions lumineuses se déroulant sur les montagnes au solstice d’hiver, roues portées sur les chars des cortèges de fête, roues sculptées sur les portes des maisons familiales.

       Dans les textes védiques la roue a une signification cosmique : sa rotation permanente symbolise le renouvellement ; d’elle naissent l’espace et toutes les divisions du temps. Comme le montre iconographie, la roue a souvent douze rayons, nombre du cycle solaire ; lorsqu’elle a quatre rayons, elle représente l’expansion selon les quatre directions de l’espace, mais aussi le rythme quaternaire des saisons. « Un coursier unique au septuple nom meut la roue au triple moyeu, la roue immortelle que rien n’arrête sur laquelle reposent tous les êtres » disent les Védas.

 

      A l’autre extrémité du monde indo-européen, chez les Celtes, la roue est partout présente. Elle est plus souvent figurée, dans les sculptures gallo-romaines, en compagnie du Jupiter celtique, communément appelé dieu à la roue ou Taranis, ou encore du cavalier au géant anguipède. Les témoignages en sont innombrables et attestent une extension au niveau populaire : terres cuites, bronzes. La roue est aussi et surtout une représentation du monde : « Si l’on se reporte à la comparaison irlandaise de la roue cosmique du druide mythique Mag Ruith (« serviteur de la roue », dont la roue est en bois d’if), le dieu à la roue celtique est le moteur immobile, au centre du mouvement, dont il est l’axe. »

http://img703.imageshack.us/img703/4999/chaudrondegundestrup2.jpgPlaque du chaudron de Gundestrup

 

      Une plaque du chaudron de Gundestrup représente un homme tournant la roue cosmique, tandis que le dieu est représenté en buste, les bras levés. La roue est aussi symbole du changement et du retour des formes de l’existence. Une épée de Hallstatt représente deux jeunes gens (analogues des Dioscures ?) faisant tourner la roue et qui doivent symboliser la succession du jour et de la nuit. Une déesse galloise citée dans le Mabinogui de Math, fils de Mathonwy, a pour nom Arianrhod, « roue d’argent ». L’un de ses fils, Llew, porte un nom qui correspond à celui de l’Irlandais Lug. Parmi les jeux guerriers de Cuchulainn figure celui de la roue : le jeune héros se contorsionne de manière à former de son corps une roue animée d’une grande vitesse. On peut noter que le thème roto, « roue », est largement représenté en toponymie gauloise, l’exemple le plus connu étant Rotomagus (Rouen).

 

 

      Roues solaires,. svastikas spirales, triskèles représentent depuis la plus haute Antiquité la force créatrice, l’énergie vitale du soleil. Le christianisme a repris à son compte, en le détournant à son profit, ce symbolisme :  le chrisme monogramme du Christ, de même que les rosaces des cathédrales gothiques, le nimbe entourant la tête des saints ou la croix elle même, surtout sous sa forme grecque sont autant d’images solaires. Le soleil est le symbole du principe générateur masculin et du principe d’autorité, dont le père reste pour l’individu la première incarnation. Représenté par l’image solaire, le rôle du dressage de l’éducation, de la conscience, de la discipline, de la morale est ressenti avec force dans les sociétés patriarcales des peuples indo-européens. Le soleil traduit l’exigence du dépassement de soi, l’aspiration à la noblesse, l’individualisation par rapport à la grisaille de la masse. Il est la marque du héros et du souverain.

       On comprend pourquoi les Indo-Européens, attentifs à la course du soleil dans le ciel, célébraient avec ferveur le solstice d’hiver et avec magnificence le solstice d’été. Les solstices demeurent, en effet, deux moments privilégiés dans le déroulement du cycle annuel. Au fil des mois, la lente et profonde respiration de la nature unit la terre et le ciel dans un même devenir. Tout au long de l’été et de l’automne, les jours raccourcissent progressivement, le soleil reste présent de moins en moins longtemps pour éclairer les activités des hommes. Il semble qu’il marche vers sa mort. Or, chacun le sait, la disparition du soleil serait la fin de toute vie.

 

       Au solstice d’hiver, dans la nuit la plus longue de l’année, les hommes entament une longue veille où, en entretenant la flamme dans le foyer familial, ils marquent leur confiance en le retour du soleil, leur confiance en la pérennité de la vie. Avec recueillement. Et le soleil ne trompe pas leur espoir: il reprend son élan dans le ciel d’hiver avant de monter jour après jour, toujours plus haut,dans le ciel de printemps. Lorsqu’arrive l’été, le solstice est le triomphe de la lumière et de la chaleur. Les hommes célèbrent la puissance du soleil dans la joie.

      Les peuples indo-européens illustraient leur foi dans le soleil et leur vénération du feu - image du soleil que le génie de l’homme était capable de créer - par des mythes exemplaires. Tels celui de Balder chez les Nordiques et celui de Prométhée chez les Grecs.

 

Pierre Vial


http://img228.imageshack.us/img228/3894/solstice2ok.png

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29 août 2010 7 29 /08 /août /2010 16:37

 Jamais réédité depuis 1886, l'ouvrage qui avait passionné Jean Mabire est enfin disponible. 



Rasmus Bjorn Anderson est un auteur américano-norvégien né à Albion dans le Wisconsin, le 12 janvier 1846, de parents qui étaient des immigrants de Stavanger dans qle Rogaland norvégien. Ses parents appartenaient à un petit groupe de Quakers qui organisèrent la première émigration norvégienne vers l’Amérique au début des années 1820. Il fut professeur d’université et diplomate au Danemark, ainsi qu’éditeur et traducteur de textes consacrés à l’histoire et aux romans de l’Europe du Nord. C’est lui qui a notamment popularisé l’idée que les Vikings furent les premiers découvreurs du Nouveau Monde, réussissant même à imposer une journée Leif Erikson dans plusieurs états américains. Sa connaissance parfaite de l’islandais lui permit d’avoir accès aux textes fondamentaux de la littérature norroise et d’en devenir l’un des grands spécialistes de son époque.

Premier titre de la collection Au Nord du Monde des Editions d’Héligoland, le livre Mythologie scandinave de Rasmus Bjorn Anderson, publié aux éditions Ernest Leroux en 1886, méritait une réédition qui n’a jamais eu lieu jusqu’à présent. Jean Mabire, invétéré chineur de livres, le mentionnait en 1978 comme un ouvrage introuvable « dont il n’existe aucun équivalent contemporain ». Nous avons à notre tour cherché, fouillé, chiné pendant des années, jusqu’à ce qu’un beau jour nous découvrions l’objet de notre assiduité sous la forme d’un vieux bouquin fatigué, relié en percaline brune. Le trésor tant attendu, sous un aspect austère, allait enfin livrer ses secrets !

Certes, la recherche aujourd’hui a progressé vers une meilleure connaissance dans le domaine nordique, mais ses publications en restent souvent difficiles d’accès pour des néophytes qui veulent découvrir le fascinant Royaume du Nord et les mœurs, coutumes, croyances et traditions des hommes qui y ont vécu et fait souche depuis des temps assurément fort reculés. Conjointement, depuis les années quatre-vingt, une littérature foisonnante, côtoyant allègrement ésotérisme « œcuménique » et mode New Age, a pris le contre-pied des études universitaires en mêlant de manière univoque la pratique magique et le chamanisme à l’étude anthropologique, sociologique, culturelle, historique et à l’érudition. Les mondes traditionnels, dans notre époque troublée et chagrine, en perte de repères, noyée dans le relativisme le plus chaotique, passionnent pour leurs sorciers, chamanes, magiciens, mages et autres mystagogues : une nouvelle forme de « quête de pouvoir » sur le monde subtil, presque aussi matérialiste que celle fondée sur le rationalisme s’est emparée d’un public friand de fantastique. Elle ressemble fort à cette forme de « religiosité seconde » dénoncée par Oswald Spengler comme signe de déclin de sociétés aux croyances déjà vacillantes. Il est à craindre qu’irrationalisme, auto-suggestion et fuite hors de la réalité n’en soient les mamelles.

Rien de tel avec cet ouvrage que nous publions et qui se situe en un juste milieu, parce qu’il restaure avant tout la dimension poétique des mythes du Nord, ce qui est peut-être bien l’essence même du sacré dans un domaine où toute tentative de ritualisation se heurte véritablement à un problème de continuité et de légitimité. Laissons la mythologie et ses symboles parler au plus profond de nous de manière franche et directe, laissons-nous séduire par leur beauté et leur simplicité, sachons y voir des tableaux grandioses se dévoiler, une dynamique s’esquisser, une vision du monde et une sagesse se mettre en place, un esprit et une âme s’exprimer. Les mythes parleront en nos tréfonds, exigeant de nous le plus profond respect à défaut d’un culte parfait devenu aujourd’hui problématique et aléatoire.

Du « culte » passons à la « culture » qui est la prolongation du premier terme, et cultivons notre « jardin secret » pour engranger tant de belles images qui s’enracinent sur une terre septentrionale aux contours si attrayants, et dans un psychisme modelé par une nature sauvage et vaste, espace de liberté, de solitude et d’indépendance. Les territoires de l’antique et mythique Thulé qui se confondent géographiquement et sentimentalement avec les pays de « l’arc nordique » aux parages du cercle polaire arctique, au Nord de notre Europe, sont les chemins d’un « recours aux forêts » pour l’homme libre conscient des limites du monde moderne et de sa tolérance à sens unique.

 

http://a.imageshack.us/img840/6092/mythologiescandinaveomb.png

 

 

Voilà la raison d’être de notre collection dont la future ligne éditoriale est bien représentée par le beau livre de Rasmus Bjorn Anderson. De la Finlande et des Pays Baltes, à l’extrême Occident des Celtes et de l’Islande en passant par la Scandinavie et la vieille Germanie, notre volonté est de dévoiler une part des « mystères » et de la poésie originelle des mondes nordiques, afin d’accéder à une meilleure connaissance de ces lieux aux paysages romantiques, à cette Europe romanesque et « barbare » d’où sourd véritablement la « Sehnsucht », cette nostalgie qui s’empare de l’homme en quête de sens, en recherche d’idéaux nobles au spectacle de la beauté, de la grandeur du monde et de son immanence.

Honoré de Balzac annonçait fièrement : « J’ai fait de fabuleux voyages, embarqué sur un livre ». En tant que directeur de collection telle est notre volonté d’emmener des lecteurs prêts à entamer de nouvelles traversées où ils découvriront une part d’eux-mêmes, ainsi qu’un héritage ancestral. Cette passion pour le livre, petit objet anodin, qui certes, comme la langue, peut être « la pire et la meilleure des choses », représente encore un formidable espace de liberté qui peut forger des « esprits libres » et permet de se construire soi-même dans un élan basé sur l’amour de la culture authentique et la connaissance des racines de l’âme européenne.



Pierre BAGNULS
Rédacteur en chef de la revue Figures de proues
Directeur de la collection «Au nord du monde»


 

Anderson (Rasmus Bjorn), Mythologie scandinave : légendes des Eddas, Éditions d’Héligoland, 2010, ISBN : 978-2-914874-67-0, 1 volume 16 x 24, 268 pages, 25,00 € (vente par correspondance : 29 € franco). À commander chez le diffuseur EDH, BP 2, 27 290 Pont-Authou.

 

Site des Editions Heligoland.

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31 octobre 2009 6 31 /10 /octobre /2009 15:15

La BNF organise jusqu'au 24 janvier 2010 une exposition sur la légende du Roi Arthur.



Apparu sous une forme légendaire dès le VIIe siècle, présenté comme une véritable figure historique par Geoffroy de Monmouth au début du XIIe siècle, mis en roman par Chrétien de Troyes, sujet de grandes sommes romanesques comme le Lancelot-Graal et le Tristan en prose, objet de nombreuses adaptations cinématographiques, le roi Arthur ne cesse de faire rêver.

A la fois érudite et accessible à tous, l'exposition de la Bibliothèque  nationale de France présente les plus belles œuvres médiévales inspirées par la légende : manuscrits, objets d'orfèvrerie, ivoires… Elle interroge l'histoire des textes et l'historicité du Roi Arthur, aborde les grands thèmes arthuriens, tels que la chevalerie, l'amour courtois ou les grands personnages comme Arthur et Merlin. Elle évoque aussi la réception du mythe, de l'Europe médiévale à nos jours, à travers des arts aussi différents que la littérature, la peinture, l'opéra, le cinéma ou le jeu vidéo.

Cette exposition s'inscrit dans un cycle d'expositions autour du roi Arthur : elle succède à l'exposition Le roi Arthur, une légende en devenir, présentée à Rennes en 2008-2009, et précède l'exposition qui aura lieu à Troyes en 2011.

 


Vous trouverez plus d'informations sur le site de la BNF qui propose une visite virtuelle de l'exposition ici qui présente une riche iconographie.




Sur le site de la BNF toujours, , se trouvent des résumés sur différentes thématiques : la légende, le merveilleux, le pouvoir et la royauté, la chevalerie, le Graal ou encore l'amour.

se trouvent des gros plans sur les romans de la Table ronde, la Légende du roi Arthur, L'esprit des lieux et les enluminures, le tout présenté sous forme de vidéos ou de diaporama (par exemple ici sur les enluminures avec la Fontaine de Barenton, etc.).

 

 

 

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