La situation de Messifré
Devant le réduit où chacun tient sa place, décidé à en interdire l'accès à l'ennemi, une hésitation se produit : une quarantaine d'hommes se précipitent en criant:
« Halte, Légion ne tirez pas » ; Le feu cesse, mais je me doute d'une ruse des Druzes ; j'ai à la main le pistolet lance-fusée, je tire, la fusée surprend les Druzes couchés qui se lèvent et je cris « Feu » . Le commandement est exécuté au cri de « Vive la Légion » et les rafales serrées et bien ajustées.
Je m'approche d'une murette et je sens deux bras robustes qui me saisissent par les épaules m'obligeant à me baisser ; j'ai un mouvement de révolte et reconnais le MDL Popoff, magnifique cosaque aux yeux bleus, au visage fin ; il me dit avec un bon sourire qu'il a toujours quand il me parle :
« Ici, je suis colonel, et je ne veux pas que vous soyez tué dans mon secteur ».
Je reste accroupi à coté de lui et il me demande comment cela va t-il se terminer ?
Je lui réponds que cela dépend de leur nombre que j'ignore, mais il faut tenir jusqu'au petit jour et à ce moment nous les aurons sûrement.
Un porte étendard est tué à 4 mètres de la murette.
Une dizaine de Druzes arrivent à monter sur le marabout et nous font subir des pertes.
Le sous-Lieutenant Dupetit parait anxieux et me cherche ; je vais à sa rencontre, et il me dit que derrière la gendarmerie, son peloton se trouve sous le feu de l'ennemi, qu'il a un homme de tué.
A ce moment une balle qui me frôle l'oreille, l'atteint en plein front.
La balle tirée de très près certainement fait éclater sa boite crânienne qui devant moi s'ouvre comme une boite.
Il reste une seconde la bouche ouverte, puis tombe raide mort.
Je vais voir son peloton qui en effet est mal placé et peut subir des pertes du fait des Druzes et d'un ouvrage de la Légion (Bataillon). Je les place mieux moi-même à l'abri d'une murette, le les calme, appelle le sous-officier de peloton et lui dis que le sous-Lieutenant Dupetit a été tué et lui donne le commandement du peloton.
Le maréchal des logis Primack qui était très bien et pouvait avoir un bel avenir, et plusieurs légionnaires sont tués par des tirs plongeants d'ennemis montés sur le marabout.
Je prends à part l'adjudant Sieurac et lui donne l'ordre, avec un groupe de combat de reprendre le marabout.
Après une demi heure de combat, il aura accompli sa mission tuant sur place ses adversaires.
Mon ancien général russe au cours de cette bataille a été magnifique.
C'était mon agent de liaison particulier, et, au plus fort du combat, portant un ordre à un de mes chefs de peloton, il a eu le bras gauche traversé par une balle.
Calmement, il a rempli sa mission est allé se faire panser à l'ambulance, puis est venu se mettre devant moi au « garde à vous » , le bras gauche en écharpe, la main droite à la visière pour me dire :
« Mon capitaine, à vos ordres ». Jusqu'à la fin, il a rempli, avec une conscience admirable cet emploi simple mais périlleux qu'est celui d'agent de liaison.
Je l'ai proposé pour la Médaille Militaire qu'il a obtenue avec la Croix de Guerre des TOE avec palme...et il en était très fier.
Pendant six heures, la bataille fait rage devant chaque réduit mais dès sept heures du matin, la partie était gagnée. L'ennemi vaincu cherchait à battre en retraite et était tiré par nos légionnaires à l'affût.
De nombreux Druzes étaient encore dans le village, les renforts réclamés depuis le matin allaient-ils arriver à temps pour en permettre son nettoyage rapide ? ... Non !!
Car le bataillon du 16e RTA ( Régiment de Tirailleurs Algériens du Colonel Damont) n'arrivait qu'à 16H30, je n'ai jamais su pour quelle raison.
Dans cette action, l'ennemi avait tout fait pour emporter ses morts et ses blessés, il avait réussi, en partie, en profitant de la nuit, mais pas complètement, puisqu'il laissait devant nos murettes plus de 300 cadavres et 8 drapeaux.
Il avouait le lendemain sa défaite ;
Dès que nous avons pu sortir du réduit, j'ai pris par le bras le maréchal des logis Popoff qui au jugé avait tiré le premier coup de feu sur la lueur du coup parti de la terrasse, l'emmenai chercher une échelle et nous montions ensemble sur la terrasse d'où semblait être parti le signal de l'attaque.
L'Arménien qui nous vendait des fruits depuis notre arrivée, chaque jours, dans le réduit, était couché à nos pieds, une balle en plein front...
Le coup avait fait mouche.
A Messifré, le 4e escadron du 1er REC aura perdu : un officier (Dupetit), trois sous officiers (Borolovsky, Primack et Schellmann), 21 brigadiers et 4 légionnaires tués. Blessés : 2 officiers, 2 sous-officiers, 20 brigadiers et 4 légionnaires.
En récompense, le régiment obtient sa première citation à l’ordre de l’armée, le 26 septembre 1925 : « Bataillon de Marche de la Légion Etrangère comprenant l'Etat Major, sous les ordres du Chef de Bataillon KRATZERT, le 4e Escadron du Régiment Etranger de Cavalerie, sous le commandement du Capitaine LANDRIAU.
Les autos-mitrailleuses opérant avec le détachement.
Placés à un poste avancé de la colonne du Djebel Druze et , attaqués le 17 septembre par un parti ennemi évalué à trois mille cavaliers et fantassins, ont tenu bon contre cette attaque poussée à fond et jusqu'au corps à corps. Ils ont infligé aux Druzes des pertes considérables et après 6 heures de lutte, les ont contraint à se replier, abandonnant sur le terrain plus de 3000 morts et laissant huit drapeaux entre nos mains. »