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18 octobre 2007 4 18 /10 /octobre /2007 21:42
[Faisant suite aux textes : "Le myuthe de la contestation totale" et au "Mythe Marcuse" publié en annexe de l'édition réalisée par Pardès du livre de Julius Evola Les Hommes au milieu des ruines, voici "L'Engouement maoïste" (autres textes de Julius Evola et d'autres auteurs publiés sur Club Acacia : voir LA)]



L'engouement maoïste.


        La fascination qu'a exercée le « maoïsme » sur certains milieux européens, qui sont loin d'appartenir au marxisme de stricte obédience, est un phénomène qui mérite d'être analysé. Parmi ceux-ci, on peut même citer, en Italie, certains groupes qui se réclament de l'expérience « légionnaire » et d'une orientation « fasciste » - tout en s'opposant au Mouvement Social Italien qu'ils considèrent comme non-« révolutionnaire », embourgeoisé, démocratisé, bureaucratisé et subjugué par l'atlantisme. Eux aussi parlent de Mao comme d'un exemple.
         Un tel phénomène nous a incité à prendre la peine de lire le fameux « petit livre rouge » pour tenter d'y voir clair et de découvrir ce qui pouvait bien justifier une telle fascination. Cette recherche s'est avérée vaine. En fait, il ne s'agit même pas d'une espèce de bréviaire écrit délibérément avec un certain systématisme, mais d'un ensemble hétéroclite de bribes de discours et d'écrits divers portant sur une très longue période. D'une véritable et spécifique doctrine maoïste, ce n'est certes pas le cas de parler ici. Que penser d'un livre où l'on trouve dès la première page des phrases aussi catégoriques que celle-ci : « Le fondement théorique sur lequel se base toute notre pensée est le marxisme-léninisme » ? Ceci suffirait pour mettre au panier le nouvel évangile, où, par ailleurs, les habituels slogans éculés de la subversion mondiale - « lutte contre l'impérialisme et ses valets », « libérer le peuple de ses exploiteurs », etc.  se rencontrent à chaque instant.
         En conséquence, s'il peut exister entre les Soviétiques et les communistes chinois des oppositions, des divergences et des tensions, il faut bien se dire qu'il s'agit de querelles de famille, de problèmes internes (exception faite de mobiles au réalisme très prosaïque, les vastes territoires déserts de la Russie asiatique excitant l'appétit de la Chine surpeuplée) qui ne nous concernent en rien du tout. Tout au plus peut-on espérer que les deux compères finiront bien un jour par en venir aux mains.
         Ce qui peut en revanche exercer une fascination, c'est un pur mythe du maoïsme, d'où l'on a évacué toute formulation idéologique précise en se livrant à des interprétations hasardeuses et en mettant tout particulièrement en exergue ce qu'on a appelé la « révolution culturelle ». Examinons quelles sont les principales composantes de ce mythe.




Un exemple de la tartufferie maoïste :

Gérard Miller

        Ce que les milieux « philo-chinois » auxquels nous avons fait allusion regardent avec sympathie, c'est le nationalisme comme base de la doctrine maoïste. Mis à part le fait que, dans un passé récent, le nationalisme s'est déjà affirmé avec 1'« hérésie » titiste et que Tito n'en est pas moins resté dans le giron des pays satellites de l'U.R.S.S., c'est oublier l'essentiel, à savoir que, dans le maoïsme, il s'agit sans la moindre équivoque d'un nationalisme communiste. A la base, il y a la conception collectiviste de la nation comme masse – on pourrait quasiment dire « comme horde » – qui diffère peu, au fond, de la conception jacobine. Lorsque Mao veut combattre le phénomène de rigidification des structures bureaucratiques à l'intérieur du parti par le biais d'une fusion directe avec « le peuple », lorsqu'il parle d'une « armée qui ne fait qu'un avec le peuple » en reprenant à son compte la formule bien connue de la « mobilisation totale », c'est au bout du compte une manifestation du même esprit, ou pathos, de masse cher à la Révolution française et à la « levée des enfants de la Patrie » (1). Quant au binôme masse-chef (le « culte de la personnalité » combattu par la Russie post-stalinienne réapparaissant, mais décuplé, en la personne de Mao devenu l'idole des masses chinoises fanatisées), il reproduit l'un des aspects les plus équivoques des dictatures totalitaires. Communisme plus nationalisme : c'est là l'exacte antithèse d'une conception supérieure, articulée et aristocratique de la nation.
        Mais s'il est une formule capable d'attirer ces groupes « philo-chinois » qui se défendent d'être marxistes, on ne voit pas pourquoi ils ne se réfèrent pas plutôt à la doctrine du national-socialisme où l'on trouvait déjà ce binôme dans la formule « Führer + Volksgemeinschaft » (le chef + la communauté nationale). Nous avons bien dit « à la doctrine », parce que dans la pratique, sous le IIIe Reich, d'autres éléments, issus du prussianisme et de la tradition du IIe Reich, ont toujours fait sentir leur influence rectificatrice. Quant au « volontarisme », autre élément qui définirait le maoïsme, on pourrait également en trouver à satiété dans le national-socialisme. De même n'a-t-on pas attendu Mao pour définir une « conception active de la guerre » en tant que « moyen pour affirmer et faire triompher sa propre vérité » : comme si, avant l'avènement des objecteurs de conscience, du pacifisme hypocrite et du crépuscule de l'esprit guerrier et de l'honneur militaire, ce n'était pas la conviction intime de toutes les grandes nations occidentales ! Il convient toutefois d'examiner les choses de plus près et d'écouter attentivement ce que dit, textuellement, le grand Mao : « Nous, nous luttons contre les guerres injustes qui s'opposent à la marche du progrès, mais nous ne sommes pas contre les justes guerres, c'est-à-dire contre les guerres progressistes ». Ce que signifie « progrès », dans un tel contexte, il est a peine besoin de le dire : faciliter l'avènement, dans tous les pays, du marxisme et du communisme. Toutefois, rien n'empêche que nous fassions, nous aussi, notre profit d'une « conception active de la guerre », mais pour notre juste guerre, qui est une guerre à outrance contre la subversion mondiale, laissant aux autres le soin de dénoncer 1'« impérialisme », d'exalter « l'héroïque Viêt-Cong », le généreux castrisme et autres fadaises tout juste bonnes pour les cerveaux qui ont subi un « lavage » les privant de toute capacité de discernement.
        Voyons maintenant quels sont les autres composantes du mythe maoïste. Le maoïsme considérerait l'homme comme l'artisan de l'histoire, il prendrait position contre la technocratie sur laquelle convergent aussi bien l'U.R.S.S. que les Etats-Unis. La « révolution culturelle » serait positivement nihiliste, elle viserait à un renouveau en repartant à zéro... Tout ceci n'est que bavardage. Avant tout, ce n'est pas, à proprement parler, à l'homme que s'adresse Mao, mais au « peuple » : « Le peuple, et seulement le peuple, est la force motrice, le créateur de l'histoire universelle ». Le mépris pour la personne, pour l'individu n'est pas moins violent dans le maoïsme que dans l'idéologie initiale du bolchevisme. On sait que, en Chine communiste, tout ce qui relève de la sphère privée – l'éducation familiale, toute forme de vie personnelle, l'affectivité et même le sexe (pratiquement réduit à sa plus simple expression, sinon à ses formes les plus primitives) – est banni. L’« intégration » (c'est-à-dire, en fait, la désintégration) de l'individu dans le « collectif » fanatisé : tel est le mot d'ordre. Cette fameuse révolution culturelle est, à proprement parler, une révolution anti-culturelle. Au sens traditionnel et occidental (et même traditionnel chinois : que l'on pense à l'idéal confucéen du jen, qui pourrait se traduire par humanitas, et du kiun-tseun, ou « homme intégral », par opposition au siao-jen, ou « homme vulgaire »), la culture, en tant que formation de soi, qui n'avait pas une fonction collective fut toujours tenue en aversion.
        Mao a déclaré avoir pris comme point d'appui l'indigence, la pauvreté des masses car, selon lui, c'est un facteur positif puisque la « pauvreté génère le désir de changement, d'action et de révolution » : c'est une sorte de « feuille blanche » sur laquelle tout peut s'écrire. Mais ceci aussi est une banalité, et personne ne voudra changer une telle situation pour un « point zéro » au sens traditionnel et positif. Ce qui peut faire effet sur les ingénus, c'est ce qui relève de la phase initiale, activiste et euphorique du maoïsme en tant que mouvement révolutionnaire – et que l'on retrouve avec la même intensité dans n'importe quel mouvement révolutionnaire. Mais une telle phase ne pouvant être éternisée, elle ne s’aurait constituer à long terme une solution positive. Ce qui est intéressant, ce n'est pas le point de départ mais la fin poursuivie, la direction, le terminus ad quem. Et, à cet égard, les déclarations de Mao sont aussi innombrables que précises : pour lui, le but, c'est la « construction du socialisme ». De sorte que, loin de pouvoir conduire à une révolution régénératrice ayant uniquement en vue 1'« homme » et partant d'un point zéro anticulturel, nous nous trouvons en face d'un mouvement sur lequel dès le départ pèse une lourde hypothèque : celle du marxisme, précisément. Aucun tour de passe-passe ne peut modifier cet état de fait et il reste donc à Mao de nous dire comment il concilie que l'homme (i.e. « l'homme peuple », nous l'avons vu) soit le sujet actif de l'histoire, capable même de déterminer l'économie, avec le dogme fondamental du marxisme, à savoir le matérialisme historique, qui en est l'exacte antithèse.
        Celui qui se sent attiré par une révolution qui parte vraiment du point zéro, par une attitude de nihilisme vis-à-vis de toutes les valeurs de la société et de la culture bourgeoises, fait la démonstration qu'il n'est qu'un ignare s'il ne connaît personne, hormis le grand Mao, auquel se référer. Quels points d'appui vraiment valables pourraient lui offrir, par exemple, les idées concernant le « réalisme héroïque » formulées en dehors de toute récupération et de toute déviation marxistes par un Ernst Jünger au lendemain de la Grande Guerre !
        Quant à l'autre élément du mythe de nos « philo-chinois », à savoir la position antitechnocratique qu'il conviendrait de valoriser plus ou moins à partir de l'analyse bien connue de Marcuse sur les formes les plus avancées de la société industrielle, il s'agit de poudre aux yeux. Est-ce que, oui ou non, Mao ne se lance pas, par hasard, dans l'industrialisation de son pays au point de le doter de la bombe atomique et d'imaginer tous les moyens nécessaires à sa « juste guerre » dans le monde, rejoignant ainsi la voie tracée par la Russie soviétique qui s'est vue contrainte de créer des structures technologiques et technocratiques en tous points semblables à celles des sociétés industrielles bourgeoises avancées ?




Mao

        Mise à part une fanatisation qui ne pourra être maintenue en permanence, nous aimerions justement savoir si Mao, lorsqu'il sera en mesure d'assurer à la masse de ses partisans et de son peuple – révolutionnaire parce que misérable, ainsi qu'il l'a dit – les conditions de vie propres à une « société du bien-être », verra toujours se tourner vers lui, unanime, une Chine dédaigneuse du « putride bonheur des sociétés impérialistes ». Et, dans l'hypothèse où cette variété d'ascétisme pourrait être suscitée à l'échelle d'une nation toute entière au nom de valeurs du niveau de celles propres au marxisme, la seule conclusion que l'on pourrait en tirer, c'est qu'il s'agirait alors d'un degré presque inimaginable, mais effrayant, de régression et d'abâtardissement de toute une partie de l'humanité. Au reste, la totale incapacité de concevoir de véritables valeurs à opposer à celles de la « civilisation du bien-être » et de la « société de consommation », n'est-elle pas la caractéristique même de tous les soi-disant mouvements « contestataires » contemporains ?
        Il ne serait pas difficile de poursuivre ce genre d'observations. Toutefois, les considérations développées jusqu'ici suffisent à montrer que l'engouement « philo-chinois » se base sur des mythes qui, pour quiconque est capable de réflexion et se réfère strictement au livre-évangile de Mao, ne peuvent apparaître que privés de tout fondement. Ceux qui, tout en prétendant n'être ni communistes, ni marxistes, s'infatuent du maoïsme, font en réalité preuve de tout ce que l'on veut, sauf de maturité intellectuelle. S'ils ne savent trouver que de semblables points de référence, la nature de leur « contestation totale » et de leur ostentatoire « vocation révolutionnaire » apparaît comme on ne peut plus suspecte.

[1]
En français dans le texte.

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