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28 octobre 2007 7 28 /10 /octobre /2007 21:41
[Julius Evola, "Historiographie de droite" (Pour une historiographie de droite) article paru dans la revue Exil, n°4-5, automne-hiver 1974. La traduction est l'oeuvre de Pierre Pascal. "Karl Schmitt" pour "Carl Schmitt" se trouve dans le texte. Le texte existe également en espagnol ("Para uma historiografia de Direita")]



        A l’occasion de considérations sur la signification européenne qui peut être attribuée à Donoso Cortés, intéressante figure d’homme politique et de penseur espagnol, dont les activités se situent dans la période des premiers mouvements révolutionnaires et socialistes de l’Europe, Karl Schmitt, historien allemand connu, a relevé ce qui suit : cependant que, depuis lors, les Gauches ont élaboré systématiquement et perfectionné une historiographie à elles comme fond général pour leur action destructrice, rien de pareil ne s’est vérifié dans le camp opposé, autrement dit dans celui de la Droite, au sein de laquelle tout s’est réduit à quelques essais sporadiques, qui ne sont en rien comparables, pour la cohérence, le radicalisme et l’ampleur d’horizons, à ce que, depuis longtemps, proposent le Marxisme et la Gauche en un tel domaine.

        Cette remarque est juste en grande partie. En effet, l’unique histoire, connue du plus grand nombre et faisant autorité, à l’exception de celle d’inspiration marxiste, est essentiellement de nature et d’origine libérales, illuministes et maçonniques. Elle se réfère aux idéologies du Tiers-Etat, qui n’ont servi qu’à préparer le terrain pour les mouvements radicalisants de gauche, puisque leurs fondements sont essentiellement antitraditionnels. Une historiographie de Droite attend encore d’être écrite : ce qui constitue un titre d’infériorité vis-à-vis des idéologies et de l’action agitatrice des gauches. Plus particulièrement, ne peut pas même suppléer à cette lacune la courante histoire « orientative patriotique », car, en dehors de ses éventuelles colorations nationales et des évocations émues d’évènements et de figures héroïques, elle se ressent elle-même, et dans une large mesure, des suggestions d’une pensée qui n’est guère d’une vraie Droite, et, surtout, parce qu’elle ne peut soutenir la comparaison, quant à l’ampleur des horizons, avec l’historiographie de gauche.

        Là est le point fondamental. De fait, on est obligé de reconnaître que l’historiographie de gauche a su porter son regard sur les dimensions essentielles de l’Histoire : au-delà des conflits et des bouleversements politiques épisodiques, au-delà de l’histoire des nations, elle a su découvrir le processus général et essentiel, qui s’est réalisé durant les derniers siècles, au sens du passage d’un type de civilisation et de société à un autre. Que la base de l’interprétation ait été, à un tel égard, constituée par l’économie et par les classes, un tel fait n’ôte rien à l’ampleur du panorama qui fut tracé par cette historiographie, laquelle, comme réalité essentielle au-delà du contingent et du particulier, nous indique, dans le cours de l’Histoire, la fin de la civilisation féodale et aristocratique, l’avènement de la civilisation bourgeoise, libérale, capitaliste et industrielle, et, après celle-ci, l’annonce et le début de la réalisation d’une civilisation socialiste, marxiste et, finalement, communiste. Ici, la révolution du Tiers-Etat et celle du Quatrième Etat sont reconnues en leur enchaînement naturel, causal et tactique. L’idée de processus préétablis, auxquels, sans le vouloir, ni le savoir, ont servi les égoïsmes, plus ou moins « sacrés », des peuples, les rivalités et les ambitions de ceux qui ont cru « faire l’histoire » sans sortir du domaine du particulier, telle est bien l’idée qui doit être prise en considération. C’est pourquoi l’on étudie les transformations d’ensemble de la structure sociale et de la civilisation, qui sont l’effet direct du jeu des forces historiques, en reléguant avec justesse l’histoire des nations dans la simple phase « bourgeoise » du développement général : en effet, les « nations » ne sont apparues dans l’histoire, comme sujettes de celle-ci qu’à partir de la révolution du Tiers-Etat, et comme conséquence de cette dernière.

        Mesurée avec l’historiographe de gauche, celle qui est propre à d’autres tendances apparaît donc superficielle, épisodique, à deux dimensions, parfois même frivole. Une historiographie de Droite devrait embrasser les mêmes horizons que l’historiographie marxiste, avec la volonté de saisir le réel et l’essentiel du processus historique, qui s’est déroulé au cours des derniers siècles, en dehors des mythes, des superstructures et aussi de la plate chronique. Ceci, naturellement, en intervertissant les signes et les perspectives : c’est-à-dire en voyant, dans les processus essentiels et convergent de la plus récente histoire, non point les phases d’un progrès politique et social, mais bien celles d’une subversion générale. Il va de soi-même que les prémisses économico-matérialistes devraient y être également éliminées, en reconnaissant comme simples fictions l’homo economicus et le présumé déterminisme inexorable des divers systèmes de la production.

        Des forces bien plus vastes, profondes et complexes, ont été et sont en action dans l’histoire. Quant aux détails, le mythe du « communisme primordial » est rejeté lui aussi pour y opposer, pour les civilisations qui précédèrent celles de type féodal et aristocratique, l’idée d’organisations, de préférence basées sur un principe de pure autorité spirituelle, sacrale et traditionnelle. Mais, ceci mis à part – redisons-le – une historiographie de Droite reconnaîtra, non moins que celle de gauche, la succession ou l’enchaînement de phases distinctes, générales et supranationales, lesquelles conduisirent régressivement jusqu'au désordre et aux bouleversements actuels : telle sera, pour elle, la base de l’interprétation des faits particuliers et des changements, sans cesser d’être toujours attentive aux effets, produits par ces derniers dans le cadre global.

        Il est impossible d’indiquer ici, pas même à l’aide de quelque exemple, toute la fécondité d’une telle méthode, la lumière insoupçonnée qu’elle jetterait sur une quantité d’événements. Les conflits politico-religieux du Moyen Age impérial, la constante action schismatique de la France, les rapports entre l’Angleterre et l’Europe, le sens véritable des « conquêtes » de la Révolution Française, et ainsi de suite, jusqu’à des épisodes qui intéressent particulièrement, l’Italie comme le visage effectif de la révolte des Communes, le double aspect du « Risorgimento » italien, en tant que mouvement national, actionné toutefois par des idéologies du Tiers-Etat, la signification de la Sainte-Alliance et les efforts de Metternich – le dernier grand européen – puis la signification de la première guerre mondiale avec l’action de contrecoup de ses idéologies, la discrimination entre le positif et le négatif dans les révolutions nationales, qui s’affirmèrent hier en Italie et en Allemagne, et ainsi de suite, pour en arriver, à la fin, à une vue conforme à la réalité nue des véritables forces, aujourd’hui en lutte pour le contrôle du monde – voici un choix d’arguments suggestifs, parmi tant d’autres, auxquels pourrait se consacrer l’historiographie de Droite, pour révolutionner de la sorte les points de vue que le plus grand nombre est habitué à avoir sur tout ceci par effet d’une historiographie aux orientations opposées –, et pour agir de manière illuminatrice.

        Une historiographie, conçue de la sorte, et donc visant à l’universel, se trouverait tout particulièrement à la hauteur des temps, s’il est vrai que, par effet de processus objectifs irréversibles, se profilent toujours plus, aujourd’hui, des groupements qui ne sont pas seulement constitués d’unités ethniques et politiques, particulières et fermées. Malheureusement, cette historiographie souhaitée correspondrait uniquement à un accroissement des connaissances. En l’état actuel des choses, on ne pourrait que difficilement attendre d’elle une efficacité aussi pratique, aux fins d’une action décidée, d’une lutte globale inexorable contre les forces qui sont sur le point d’engloutir le peu de ce qui reste encore de la véritable tradition européenne. Il faudrait, en effet, qu’existât comme contrepartie, une Internationale de la Droite, organisée et munie d’une puissance comparable à celle de l’Internationale communiste. Or l’on sait malheureusement que, du fait de la carence d’hommes dotés d’une haute élévation spirituelle et d’une autorité suffisante, du fait encore de la prévalence d’intérêts partisans et de petites ambitions, du fait aussi d’un manque de vrais principes et, surtout, d’un manque de courage intellectuel, il n’a pas été possible, jusqu’à présent, de constituer un gouvernement unitaire de Droite, pas même en la seule Italie, et que c’est seulement en des temps récents qu’il a été possible de voir s’annoncer des initiatives en ce sens.
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