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8 février 2009 7 08 /02 /février /2009 15:07
Le devoir d'histoire de Pierre Vial : 8 février 1220, Parzival entre dans l’éternité.
Publié
dans Rivarol le 24 février 2006.



    On sait que la littérature arthurienne a placé au cœur de l’imaginaire européen les hautes figures de Merlin le Sage, l’homme de la forêt, le frère des loups, héritier des druides, Arthur, incarnation de la souveraineté sacrée, la douce reine Guenièvre, les preux chevaliers de la Table Ronde. Quelques-uns, parmi nos contemporains, attendent et espèrent que la Dame du Lac brandira à nouveau hors de l’onde l’épée Excalibur, signal d’une nouvelle reconquête car le Graal, la coupe du sang, reviendra éclairer notre nuit.
    L'œuvre du trouvère Chrétien de Troyes est un fleuron de la littérature française, né dans cette cour de Champagne où la comtesse Marie, en digne fille d’Aliénor d’Aquitaine, accueillait galamment les poètes. Mais on sait peut-être moins, en France, que Chrétien a eu d’éminents confrères à l’est du Rhin, tout aussi fascinés que lui par cette « Matière de Bretagne » qui était, en fait, l’écho d’ancestrales traditions populaires du monde celtique. Parmi ces trouvères germaniques (les Minnesänger, « ceux qui chantent l’amour »), l’un des plus grands est Wolfram von Eschenbach (1170-1220).
    Né en Franconie orientale, il est l’auteur de charmantes chansons d’amour (des “aubes”, dont le thème est la séparation des deux amants, quand pointe l’aube, après une nuit secrète), d’un roman de croisade, adaptation d’une chanson de geste, Willehalm, resté inachevé. Mais, surtout, du Parzival. Ce fut le roman arthurien, en vers, le plus lu et le plus goûté de l’Allemagne médiévale, comme en témoignent les dizaines de manuscrits parvenus jusqu’à nous. Comme son titre l’indique, c’est une adaptation du Perceval de Chrétien de Troyes, mais Wolfram en a fait une oeuvre très personnelle, originale — au point de séduire certains lecteurs plus encore que son modèle, de par la forte charge symbolique qu’elle contient.
   
    L'œuvre comprend vingt-cinq mille vers. Rédigée à la demande d’un mécène, le landgrave Hermann de Thuringe, elle fut composée vers 1200, en seize livres. Les premiers racontent l’enfance de Parzival, dont le père chevalier est mort au combat, si bien que la mère a voulu tenir l’enfant en dehors du monde de la chevalerie, en l’élevant dans une contrée déserte. Mais bon sang ne saurait mentir. Le jeune Parzival s’émancipe de la surveillance maternelle et part vivre sa vie. Qu’il veut être celle d’un chevalier. Vaillant mais inexpérimenté, il atteint son but après moult épreuves. Et, sauvant une gente reine des assiduités d’un trop brutal soupirant, il y gagne l’amour de la dame et un royaume.
    On est là, jusqu’à présent, dans un scénario assez classique. Mais Wolfram voulait plus et mieux. Il conduit donc, dans la suite de son long poème, Parzival vers un château nimbé de légende.
    Un ordre de chevaliers — dans lequel on pourrait reconnaître les Templiers — y garde farouchement le Graal. Il se sait investi d’une mission supérieure, qui est le sens même de son existence. Après une première tentative avortée — Parzival échoue à l’épreuve décisive — il doit mériter par des combats, dont le plus important est une purification intérieure, d’avoir enfin la possibilité d’accéder au Graal. Un Graal qui permet à ses gardiens chevaliers d’avoir directement accès à la présence divine, sans intermédiaire — ce que l’Eglise apprécie fort peu, faisant planer du coup sur Wolfram des soupçons d’hérésie, pour ne pas dire plus.
    D’autant que son Graal, qui offre tous les mets et boissons possibles, qui est source de santé et de jeunesse, au point de protéger de la mort et de maintenir en vie, ressemble furieusement au chaudron sacré contenant la boisson d’immortalité qui est au coeur des mythologies indo-européennes.
   
    On comprend mieux, ainsi, pourquoi Parzival devenu roi du Graal est présenté comme le « roi juste et pacificateur », thème cher au camp gibelin des Staufen qui affirme les droits de l’Empire face à la Papauté. Le roi Parzival est là pour proclamer l’unité, sacrée, du monde divin et du monde humain, en rupture donc totale avec le vieux dualisme qui diabolise le monde des hommes en l’affirmant voué au mal.
    On voit que Wolfram von Eschenbach était beaucoup plus qu’un gentil poète.
    C'est ce qui fait que certains le lisent encore en trouvant dans son oeuvre un message éternel.

Pierre Vial.





Parzival dans un manuscrit médiéval
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